Editorial : E-santé dans les systèmes de santé : Afrique subsaharienne enfin à l’orbite ?
Editorial
E-santé dans les systèmes de santé : Afrique subsaharienne enfin à l’orbite ?
E-health in the health system: Is sub-Saharan Africa up and running?
E-santé, ou santé électronique, a été définie en 2000, par l’Organisation mondiale de la Santé (OMS), comme un ensemble des moyens et services liés à la santé, utilisant les nouvelles technologies de l’information et de la communication (NTIC) à la santé. Elle fait appel à l’internet, aux applications pour smartphones et aux objets connectés. Son champ d’application est de plus en plus vaste de nos jours incluant :
- la télésanté, qui comprend les actes de prévention et de soins réalisés à distance au travers des portails grand public, sites de promotion de la santé, systèmes d’alerte téléphonique, prescription électronique à distance utilisable même dans l’actuelle pandémie de Coronavirus (Covid-19) ;
- la télémédecine (actes médicaux réalisés à distance par un médecin) : consultation par vidéoconférence, téléassistance d’un médecin lors d’une intervention, télésurveillance du patient, télé-expertise (échange des avis des médecins) ;
- la m-santé (santé mobile) qui englobe les applications numériques pour smartphone ou objets connectés (bracelets…) en lien avec la santé ;
- les systèmes de données électroniques de santé ;
- l’informatique clinique qui est à part entière une spécialité médicale au même titre que la cardiologie, la néphrologie ou la pneumologie pour la formation des médecins aux technologies numériques (information médicale) ;
- et la régulation médicale.
Ainsi, il existe actuellement près de 100.000 applications et de nouvelles apparaissent chaque jour. Certains proposent des conseils individualisés, recueillent des données personnelles (pression artérielle, poids, fréquence cardiaque etc.) ou délivrent les informations médicales. Cependant, elles ne sont pas toutes fiables. En dépit de ces écueils, les bénéfices attendus pour les patients recourant à la NTIC sont très nombreux à savoir faciliter l’accès aux soins pour tous, améliorer la qualité de vie des patients, favoriser la coordination entre professionnels de santé, prévenir les hospitalisations ou réhospitalisations, diminuer le recours aux urgences et réduit le coût de transport, etc.
Les systèmes de santé dans la plupart des pays d’Afrique subsaharienne (ASS) sont malheureusement faibles et fonctionnent très mal (1). A cet égard, plusieurs éléments vitaux d’un système de santé pour assurer des soins qualité sont très souvent déficitaires. Il s’agit notamment des éléments (2) ci-après :
- nombre adéquat de ressources humaines compétentes ;
- infrastructure matérielle (bâtiment, équipement, accessibilité routière, approvisionnement en eau et/ou électricité) ;
- acquisition et distribution efficiente des médicaments et produits de santé ;
- suivi et évaluation régulière, fiable, en temps utile ;
- gestion saine de finances ;
- direction et intendance de bonne qualité.
Des déficiences et des insuffisances majeures existent dans chacun de ces secteurs précités. Pourtant, l’ASS supporte 25% du fardeau maladie du monde, mais ne bénéficie que de 1,3% de la répartition des agents de santé du monde (3). Ceci est dû en partie par la faible capacité de formation, le manque d’opportunités professionnelles, les conditions médiocres de travail, la fuite des cerveaux et la rémunération dérisoire du personnel soignant dans certains pays d’ASS. Les conséquences de cette situation déplorable sont importantes. En effet, l’ASS compte 49% des décès maternels, 50% de décès d’enfants de moins de 5 ans et 67% des cas de VIH/SIDA. Bien que certaines améliorations sur le plan sanitaire aient été réalisées en Afrique, les progrès sont encore très limités. Il devient impérieux d’investir dans les systèmes de santé en ASS afin de faire progresser le développement et la croissance économiques, sauver des millions de vie, prévenir les handicaps à vie et rapprocher les pays des objectifs des stratégies nationales de réduction de la pauvreté et des objectifs du millénaire pour le développement (OMD). Il va s’en dire qu’une population en bonne santé, produit davantage, gagne davantage, épargne davantage, investit davantage, et travaille beaucoup plus longtemps. Ainsi, l’avènement de NTIC en Afrique est une grande opportunité pour contribuer tant soi peu à atteindre cet objectif OMD. Certes, le taux de pénétration de NTIC est encore inégal entre les pays d’ASS, les projections d’augmentation de l’internet mobile devrait pousser les acteurs du numérique à créer des applications répondant aux besoins spécifiques du continent africain (3). Ces innovations peuvent également contribuer aux objectifs de la couverture sanitaire universelle en levant certaines barrières comme l’inaccessibilité aux soins de qualité, le coût, le mauvais état des routes et/ou la pénurie du personnel qualifié surtout en milieu rural où vit la majorité des populations africaines. Si dans les pays occidentaux, les patients utilisent de plus en plus internet, notamment via leur téléphone mobile, pour accéder à des informations de la santé ; ce qui n’est encore tout à fait le cas des patients vivant dans plusieurs pays d’ASS. Ce qui explique en partie, la rareté des données publiées sur l’e-santé en ASS. Un rapport récent, qui porte sur le Ghana, le Rwanda, le Sénégal ; a montré que l’application de NTIC a permis à ces trois pays d’ASS, d’améliorer la prestation des soins de santé. Ces pays ont en effet accordé la priorité à la collecte, à l’analyse, à la diffusion, et à l’utilisation de données, afin de renforcer les soins de santé primaire. Les systèmes de données interconnectés fournissent une vue complète de la performance du système de santé et peuvent aider à garantir que les soins sont disponibles quand et où les patients en ont besoin. Dans la région de l’est du Ghana, les centres de santé communautaires recourent à des interventions de technologie mobile pour se faire guider par des médecins en situation d’urgence. En Afrique centrale, deux entrepreneurs Congolais Kimpalou JZ et Nkashama S (3) ont développé une plateforme WapiMED de mise en relation entre les patients et les professionnels/institutions de la santé. Les principaux pays bénéficiaires sont la République démocratique du Congo (RDC), le Congo-Brazzaville, le Gabon, et le Cameroun. Dans les pays d’ASS, la mise en œuvre effective de la NTIC est confrontée à plusieurs défis notamment l’accessibilité des outils numériques (smartphones, ordinateurs etc.), l’internet à haut débit, l’électricité et la culture de lecture. Dans le présent numéro des Annales Africaines de Médecine, un article a osé braver ce défi en proposant une expérience vécue sur la télédermatologie. Il y a lieu de croire que l’avenir sera meilleur pour les systèmes de santé d’ASS avec la NTIC pour le bien de nos patients.
Références
- Reich MR, Takemi R, Roberts MJ, Hsiao WC. Global action on health systems: a proposal for the Tokyo G8 summit. Lancet 2008 ; 371 (9615) :865-869.
- Harries AD, Jensen PM, Zachariah R, Rusen ID, Enarson DA. How health systems in sub-Saharan Africa can benefit from tuberculosis and other infectious disease programmes. Int J Tuberc Lung Dis 2009; 13 (10): 1194-1199.
- Buzika RM. Contribution de la e-santé dans l’accès aux soins en Afrique : WapiMED une startup « made in DRC ». Ann Afr Med 2017 ; 11 (1) : e2770
Ernest Kiswaya Sumaili, MD, Ph D (https://orcid.org/0000-0003-1555-7197)
Rédacteur en chef adjoint, Annales Africaines de Médecine
Université de Kinshasa
Courriel : anafrimed@gmail.com/sumailernest2015@gmail.com
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