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Editorial : Volume 10 n°4 : septembre 2017

Médecine personnalisée, mythe ou réalité dans les pays en développement ?

La médecine personnalisée est une approche bien alléchante, en plein essor dans les pays développés à l’heure actuelle. Elle tire sa substance des progrès importants dans la recherche génétique, pharmacologique, environnementale, et bio-informatique. Aussi dénommée Médecine P4, elle s’articule autour de la personnalisation, dans sa recherche du profil génétique ou protéique et métabolique du patient ; elle est préventive, parce que recherchant les phénomènes en amont de la maladie ; elle est prédictive dans sa quête des traitements appropriés, tout en minimisant le plus possible les effets indésirables ; elle est enfin participative, en ce qu’elle engage le patient dans une démarche préventive, en augmentant son adhésion et son observance à des procédures adaptées à son profil (1, 2). Cette médecine du futur recherche les signatures de l’individu au travers des concepts nouveaux notamment : la génomique, l’épigénomique, la métabolomique, la microbiomique, et la pharmacogénomique (3, 4). Son objectif majeur est d’apporter au patient, des soins les mieux appropriés possibles, en fonction des spécificités génétiques et environnementales d’un chacun. Cette pratique vise à déterminer avec parcimonie des candidats pour un traitement donné, et la voie la plus sûre d’administration du médicament, aussi celle susceptible d’induire le moins d’effets délétères possibles. La démarche suppose donc une connaissance approfondie de l’analyse moléculaire et des signatures génétiques du sujet. Les bases biologiques de la maladie et les moyens spécifiques et orientés de diagnostic (biomarqueurs) en sont un fondement essentiel (4, 5). La médecine P4 est une approche personnalisée dans son effort d’adapter le médicament et la surveillance clinique, génétique, en recourant notamment aux biomarqueurs susceptibles de déterminer les sujets répondeurs ou non à des thérapies ciblées ; elle est alors également, une approche stratifiée, pouvant s’adresser à des sous-groupes sélectionnés à l’aide de tests diagnostiques de plus en plus élaborés. Cette médecine du futur vise à déterminer le diagnostic le plus précis possible, à rationaliser la prise en charge thérapeutique et à promouvoir chez l’individu, la culture de la prévention (6).

C’est en 2004 que les premiers rapports sur la médecine personnalisée voient le jour dans la littérature médicale aux Etats-Unis d’Amérique (7, 8) ; ses vrais débuts pourraient toutefois être considérés depuis l’antiquité, à l’époque d’Hippocrate qui préconisait déjà le diagnostic fondé sur les quatre humeurs : le sang, le flegme, la bile jaune, et la bile noire. La génomique avec le séquençage des gènes et le décryptage du langage de l’ADN a permis dans des domaines divers, comme la cancérologie, les maladies auto-immunes, et les neurosciences, de déterminer au préalable la susceptibilité du patient à des thérapies ciblées, et à prévoir les échecs thérapeutiques. Les pays Scandinaves et le Canada semblent plus avancés que d’autres pays développés dans la vulgarisation de cette approche.

Les pays en voie de développement, notamment en Afrique subsaharienne (ASS), sont-ils prêts à accueillir cette médecine futuriste ? la réponse n’est pas aussi simple. L’évolution sociale à des vitesses différentes, l’environnement socio-économique de plus en plus hostile, la précarité, le changement climatique, l’absence d’organisation sanitaire structurée, et l’impréparation dans la réaction aux catastrophes et aléas naturels des masses constituent autant de barrières à l’heure actuelle, dans l’évolution vers la médecine P4 dans les pays pauvres. Ces pays ont des défis sanitaires différents, déjà dans la transition sanitaire entre les maladies transmissibles et non transmissibles. Les défis de la croissance démographique sont considérables ; l’ASS comptera d’ici 2050, deux milliards des sujets selon l’OMS, et l’espérance de vie moyenne y est de 57 ans versus 69 ans dans les pays développés. Dans cette partie du globe, près de 325 millions d’habitants n’ont pas d’accès à l’eau potable. Les maladies hydriques sont pourvoyeuses d’une mortalité très élevée chez les enfants de moins de 5 ans. La moitié d’habitants n’ont pas accès à des infrastructures sanitaires de qualité. Dans ce contexte, les priorités sanitaires vont dans le sens de privilégier les solutions plurielles aux réponses singulières. L’objectif du développement durable exige de ces états, la maîtrise de la croissance démographique et urbaine, l’augmentation de la capacité à subvenir aux besoins alimentaires et sanitaires de première nécessité, et l’adoption de la bonne gouvernance politique et sociale.

En dépit de la pertinence de la médecine personnalisée pour l’approche du patient, de la maladie, et du traitement rationnel ; la réflexion mérite d’être approfondie quant aux choix judicieux qu’impose la santé communautaire. Dans la plupart de ces pays pauvres, les soins de santé primaire (SSP) représentent le point d’entrée dans les services de santé. L’inadéquation entre les réponses des SSP aux exigences de la transition sanitaire constitue déjà un véritable challenge. La vitesse des changements à aux à la vitesse des changements à adopter, le moment idéal pour leur implémentation constituent des difficultés qui imposent des stratégies de concertation et de partenariats multiples avec les pays plus avancés. Le choix est à faire entre le développement des traitements de plus en plus coûteux et accessibles à la minorité et l’extension d’une approche de santé communautaire. Proposer le bon traitement, au bon moment, et pour le bon groupe de patients est certes une exigence universelle ; mais celle-ci doit intégrer les principes éthiques et juridiques.

Références

  1. Becquemont L, Bordet R, Cellier D et al. La Médecine personnalisée : Comment passer du concept à l’intégration dans un plan de développement clinique en vue d’une AAM ?. Thérapie 2012 ; 67 (4) :339 – 348.
  2. EMA. Personalized medicine /www.ema.europa.eu/ema/index.jsp.
  3. Everett JR. From Metabonomics to Pharmacometabonomics: The role of Metabolic Profiling in Personalized Médicine. Front Pharmacol 2016; 7: 297.
  4. Dudley JT, Listgarten J, Stegle O, Brenner SE, Parts l. Personalized medicine: from genotypes, molecular phenotypes and the quantified self, towards improved medicine. Pac Symp Biocomput 2015: 342-6.
  5. Jain KK. Personalized medicine. Curr Opin Mol Ther. 2012; 4 (6): 548-58.
  6. Everett JR. From Metabonomics to Pharmacometabonomics: The role of Metabolic Profiling in Personalized Médicine. Front Pharmacol 2016; 7: 297.
  7. Lesko LJ. Personalized medicine: elusive dream or imminent reality. Clin Pharmacol Ther. 2007; 81(6): 807-16.
  8. Recherche CRCHUM, vol 4, N°1, Janvier 2012

Jean-Marie Kayembe Ntumba

Doyen de la Faculté de Médecine

Université de Kinshasa

République Démocratique du Congo

Courriel : jm.kayembe@unikin.ac.cd

 

CC BY 4.0 Cette œuvre est sous Licence Creative Commons Internationale Attribution 4.0.

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