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Partage du savoir

Par définition, le savoir est l’ensemble des connaissances « relatives » sur un sujet donné. Il dépend de l’évolution sociétale et technologique du moment. Son antithèse, c’est l’ignorance! L’ignorance est l’absence des connaissances « relatives » sur un sujet donné.
Dans l’histoire, il n’y a que le philosophe Pétrarque qui a osé écrire sur son ignorance et celles de beaucoup d’autres. Personnellement, j’ai été témoin de mon ignorance et de l’ignorance de tant d’autres scientifiques sur la maladie à virus Ebola comme nous allons le voir ci-dessous tout à l’heure. D’où provient le savoir? Classiquement parlant, le savoir s’acquiert au contact d’un maitre dont le savoir dans son domaine de spécialité est incontestable. L’université sert souvent de lieu idéal pour générer les connaissances, les conserver et les transmettre ; elle est donc un creuset du savoir et un incubateur des connaissances. Mais le savoir peut s’acquérir aussi à la suite d’expériences sur terrain. Le savoir résulte d’un effort continu et d’une grande passion. Une chose est certaine : le savoir ne se transmet pas de façon mécanique à l’instar du sacré principe des vases communicants, comme si la baisse de niveau intellectuel de nos enfants était liée à la baisse de celui des parents. Cette idée a été jadis réfutée par Socrate, qui disait ceci à l’un de ses disciples dans le banquet : « Ce serait une aubaine, Agathon, si le savoir était de nature à couler de plus plein vers le plus vide, pour peu que nous nous touchions les uns les autres, comme c’est le cas de l’eau qui, par l’intermédiaire d’un brin de laine, coule de la coupe la plus pleine vers la plus vide ». Néanmoins, il reste établi que le niveau intellectuel de notre jeunesse sera tributaire de l’environnement que nous, adultes, lui offrirons. Le savoir ne s’achète pas. Celui ou celle qui ose l’acquérir par des espèces sonnantes, ne jouira d’aucune véritable métamorphose de l’esprit. Contrairement à l’argent, le partage du savoir est une source intarissable d’enrichissement.

Celui qui partage son savoir avec autrui, ne perd rien, ne s’appauvrit jamais. La preuve, c’est la présence ici de tous ces professeurs qui ont transmis leurs connaissances à des centaines des citoyens devenus aujourd’hui : qui sénateurs, qui députés ou ministres, mais tout en conservant leur capacité de porter ces belles toges, symbole du savoir universel. Le savoir et les élites congolaises La RDC regorge d’élites intellectuelles formées dans les grandes universités nationales, européennes et américaines et détentrices du savoir. Lorsque ces élites évoluent dans les institutions étrangères, elles brillent. Mais une fois rentrées dans leurs pays d’origine, elles peinent à exprimer leurs vrais talents. L’élite congolaise serait-elle semblable à l’oiseau « albatros » décrit par Charles Baudelaire. L’albatros est le roi de l’azur. Grâce à ses longues ailes blanches, il peut voltiger, planer et accompagner le navire sur de longues distances en mer. « Ce roi de l’azur, une fois exilé sur le sol au milieu des huées, ses ailes de géant l’empêchent de marcher ». Le détenteur du savoir, l’élite intellectuelle congolaise se considère à raison ou à tort comme un exilé dans son propre pays. Elle est parfois la risée de l’homme politique qui la traite « d’économiste de chambre » et souvent du peuple qui ne se retrouve pas en elle. L’élite doit être au service du peuple. Ce que le peuple attend de son élite, ce n’est pas seulement le « panem et circenses », le pain et les jeux, mais une bonne justice, des soins médicaux de qualité, un bon système d’éducation pour les enfants, l’eau potable, l’électricité, l’internet de bonne qualité. Il faut que les élites mettent en pratique leur savoir pour le plus grand bien de tous.
Mais le savoir est comme un couteau à double tranchant. Il est une source de bonheur et d’épanouissement s’il s’accompagne de sagesse. La devise de notre Alma mater ne cesse de nous rappeler cette phrase de Rabelais : « Scientia splendet et consciencia »
Là où il y a conscience, le savoir rayonne ; mais le savoir qui s’applique en dehors de ce cadre de conscience est plus nocif que l’ignorance. Le partage du savoir Le savoir résulte donc d’un effort intellectuel continu et d’une passion soutenue. Ma passion pour l’étude du virus Ebola remonte à l’année 1976, lors de la toute première épidémie survenue à la mission catholique de Yambuku. Feu Professeur Ngwete, Commissaire d’Etat à la Santé, nous envoie en mission avec le Colonel Omombo, pour évaluer cette épidémie meurtrière ressemblant à la fièvre typhoïde ou à la fièvre jaune. Nous avions examiné les malades mains nues, fait des prélèvements de sang pour hémoculture et la sérologie, et effectué des prélèvements des fragments de foie de trois cadavres pour confirmer le diagnostic. Nous avions ramené une religieuse malade à la Clinique Ngaliema. C’est à partir de son sang qu’un nouveau virus baptisé « EBOLA » sera identifié à l’Institut de Médecine Tropicale à Anvers.

Le virus Ebola est le virus le plus dangereux au monde. Personne ne connaissait la maladie à virus Ebola auparavant. L’émergence du virus Ebola à Kikwit, région de savanes boisées, 19 ans après Yambuku, était une surprise, car nous croyions que le virus Ebola était lié à la forêt équatoriale et à la présence des primates non humains. La recherche sur la maladie à virus Ebola (MVE) était une composante importante de cette épidémie dont les aspects cliniques, épidémiologiques, virologiques et immunologiques étaient soigneusement décrits et publiés dans The Journal of lnfectious Diseases. Lors de cette épidémie, nous avions expérimenté l’utilisation de la transfusion du sang de convalescents de la maladie à virus Ebola pour soigner les patients atteints de cette terrible maladie. Cette expérience qui avait permis de sauver la vie de 7 des 8 patients transfusés, constituait les prémices de la sérothérapie anti-Ebola actuellement acceptée par l’Organisation mondiale de la Santé (OMS). Lors de l’épidémie de Kikwit, nous avions pour la première fois mis au point et codifié les mesures particulières de contrôle de l’épidémie d’Ebola, avec un organe central de coordination et un comité scientifique et technique local. Ces mesures ont été ensuite adoptées par l’OMS et utilisées depuis lors pour la gestion d’autres épidémies de maladie à virus Ebola en RDC et en Afrique.

Cette épidémie de Kikwit, nous a permis de développer le leadership national consistant en la prise en mains par les nationaux, de la direction du comité international de coordination technique et scientifique de lutte contre Ebola. Gérer une épidémie, c’est donner une vision aux différentes équipes d’interventions, nationales et étrangères. Nous avions vite compris les aspects socioculturels de la maladie à virus Ebola et engagé aussitôt le dialogue pour écouter les leaders d’opinions locaux y compris les chefs coutumiers pour que les communautés soient impliquées dans la lutte et acceptent les mesures de santé publique proposées par les équipes d’intervention. Un autre élément important dans la gestion des épidémies de maladie à virus Ebola, c’est le savoir-être, c’est-à-dire, gérer les communautés, gérer les familles affectées, gérer les malades et gérer les autorités locales. Une épidémie de MVE s’accompagne toujours d’une épidémie de rumeurs qu’il faut gérer avec sagesse. Quand le Professeur Mashako, alors Ministre de la Santé, m’avait envoyé contrôler l’épidémie de Fièvre hémorragique à virus Marburg à Watsa/Durba, Province Orientale, alors occupée par les soldats ougandais en 2001, la première activité que j’avais menée, c’était de libérer un infirmier et une infirmière de la salle d’opération, gardés en prison pour soit disant avoir empoisonné le médecin chirurgien de Watsa.

Ils étaient suspectés d’avoir dissimulé du poison dans le masque du chirurgien qui était décédé dans un tableau de fièvre hémorragique.
A plusieurs reprises, l’OMS a recouru à notre savoir-faire et savoir-être pour coordonner les équipes d’intervention au Gabon et au Congo voisin. Au total, j’ai assisté à une dizaine d’épidémies de MVE. La plus dévastatrice est celle des pays de l’Afrique de l’ouest qui avaient frappé surtout la Guinée, le Libéria et la Sierra-Leone. Ces pays n’étaient nullement préparés, l’opinion scientifique internationale étant convaincue que la MVE se limitait à l’Afrique centrale et de l’est et que l’affection restait localisée à son épicentre. L’ampleur de l’épidémie en Afrique de l’ouest, est due entre autre, à l’ignorance sur la maladie qui a été détectée avec un grand retard, à un manque de leadership national pour coordonner les interventions de différentes équipes. Une autre fausse opinion était que le virus Ebola ne pouvait pas s’introduire dans les pays développés, étant donné leur niveau d’hygiène élevé. Mais, le virus Ebola s’est introduit en Europe et aux USA, créant un état de panique sans précédent.

Pour la première fois, la MVE a été déclarée une urgence de santé publique de portée internationale par la Directrice Générale de l’OMS. En conclusion, le savoir-faire congolais en matière de MVE est maintenant reconnu dans le monde entier. L’envoi en 2014 d’une délégation d’experts congolais par le Président de la République en vue de renforcer les capacités de riposte au Liberia, alors que les pays voisins fermaient leurs frontières, était considéré comme un modèle de solidarité par plusieurs pays africains. Le Ministère de la Santé Publique travaille sans relâche pour le rayonnement de cette expertise congolaise en Afrique de l’ouest, dans les cadres, soit de l’Union Africaine, soit de l’OMS, soit du CDC/Atlanta, ou encore de la Coopération japonaise JICA. J’ai eu certes une longue carrière émaillée de risques et de sacrifices, mais le plus important c’est que, avec mon équipe, nous avons généré de nouvelles connaissances que nous avons partagées et qui ont servi à mieux lutter contre cette maladie meurtrière. Une nouvelle génération a pris le relais dans le domaine de la coordination au niveau du Ministère de la Santé. En guise de confession, à plusieurs reprises j’ai cherché à m’exiler ; mais la force d’attraction de la RDC était supérieure à celle de l’exil. La RDC a beaucoup fait pour moi, j’aurais dû faire davantage pour elle.

Enfin, je formule le voeu d’émergence d’une culture de célébration d’hommage réunissant hommes politiques et hommes de science, à l’instar de cette journée inoubliable que le Gouvernement a organisé en mon honneur à l’Hôtel Beatrice.
Merci de votre présence nombreuse et de votre aimable attention.

Auteurs : Jean-Jacques MUYEMBE TAMFUM

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